SF2M Info novembre 2023
« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin » Sören Kierkegaard (1813-1855)
Henry Louis Mencken, journaliste libre penseur américain de la 1ère moitié du XXe et observateur critique de son époque, que l’on appelait le Sage de Baltimore, affirmait non sans ironie : « Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe… et fausse.” Cet aphorisme reste plein de vigueur aujourd’hui, à l’ère de la communication tous azimuts. La recherche de solutions simples à un problème complexe, aggravée par l’argument d’autorité, la confusion entre corrélation et causalité, et la propension à généraliser à partir d’un cas particulier, sont là les quatre piliers sur lesquels est confortablement cultivé le terrain fertile des fake news, du complot et de la vérité alternative. Ils sont résolument orthogonaux à la démarche scientifique rationnelle et réfutable qui, seule, nous permettra de proposer les solutions aptes à faire face aux challenges actuels au niveau de l’énergie, de l’environnement, de la réindustrialisation, de l’indépendance stratégique, et aux problèmes complexes sociétaux, organisationnels, éthiques et politiques associés.
Dave Barry, journaliste au Washington Post, connu pour son humour décapant, pointe une “solution simple” à un problème complexe dans sa revue de l’année 2022: “Best of all, the looming apocalyptic threat of catastrophic global climate change was finally eliminated thanks to the breakthrough discovery that the solution — it has been staring us in the face all this time — was to throw food at art! ”. C’est évidemment le bon mot qui était recherché là, qui fait abstraction de l’éventuelle capacité d’un choc symbolique médiatique à mobiliser les consciences ; mais disons que les militants ont ici bien prêté le flanc à l’ironie d’une plume éditoriale aiguisée, l’auteur ayant sauté sur l’occasion offerte pour caricaturer ce que peut être une solution simple à un problème complexe !
Jérôme Fourquet, l’auteur de « l’Archipel Français », pointe la concordance temporelle de deux évènements majeurs : d’une part la fermeture des usines Renault de Boulogne-Billancourt le 31 mars 1992, et d’autre part l’inauguration d’Euro Disney le 12 avril suivant. A ce moment, la France et l’Allemagne étaient économiquement à parité ; aujourd’hui, la part des activités industrielles de nos voisins outre-Rhin contribuent encore à 22% de leur PIB, alors que la nôtre s’est effondrée à 12%, avec un endettement qui s’est envolé, et un PIB par habitant qui s’est réduit par rapport à l’Allemagne. La conversion vers une économie de services et de loisirs, délaissant l’industrie qui peinait à faire sa mue écologique, n’a pas conduit à l’eldorado promis, mais a plutôt produit en grande majorité un besoin en emplois astreignants, peu qualifiés et souvent pénibles, mal rémunérés, volatils, au contraire de toute la palette des possibles associée à de vrais emplois industriels. In fine, cette conversion vers une société de service et de loisirs a contribué à archipéliser la nation, déjà fragilisée par nombre de facteurs sociétaux.
Surviennent la pandémie, la guerre en Ukraine, les remous en Mer de Chine, une déstabilisation de l’Afrique subsaharienne ! Il s’ensuit une brutale prise de conscience européenne de la fragilité de nos sources d’approvisionnement en matières premières, en produits agricoles et énergétiques, voire pharmaceutiques, qui deviennent des instruments politiques volatils dans des mains pas toujours bien disposées. Et il s’ensuit aussi corrélativement la prise de conscience de la nécessité absolue de reconstruire notre indépendance énergétique et industrielle, de renforcer notre industrie de l’armement face à des défis nouveaux. Au cœur de tous ces enjeux, les matériaux (cf. le Livre Blanc : Les Matériaux au cœur des enjeux stratégiques Post COVID) et les ressources en matières premières, le lithium, les terres rares et métaux de transition, le platine et autres catalyseurs, le cuivre, les aciers hautes performances, les matériaux du nucléaire, les procédés, les filières industrielles, mais aussi et surtout… la formation, l’éducation, la redéfinition des cursus, la refonte des enseignements pour le nucléaire et les énergies renouvelables, pour l’économie de l’hydrogène. Il faudra éviter la tentation des solutions simples ; pour paraphraser Kierkegaard, le difficile sera le chemin, mais c’est aussi là que l’on trouvera du sens.