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Grande médaille

La Grande Médaille de la SF2M à l’effigie de Henry Louis LE CHATELIER est décernée, en principe tous les ans, comme couronnement de carrière, à une personnalité ayant accompli une œuvre jugée de première importance dans le domaine de la Métallurgie ou des Matériaux.

LAUREAT 2023

Thomas PARDOEN

Professeur à l’université Catholique de Louvain

La science cela commence par de l’humain et cela se finit par de l’humain.

Ma carrière professionnelle n’est pas préméditée, juste façonnée par des rencontres. Francis Delannay, un de mes enseignants préférés durant mes études d’ingénieur à l’UCLouvain (89 à 94), a été mon directeur de thèse de 94 à 98. Il m’a appris que chaque résultat mérite qu’on si attarde. Il m’a aussi laissé la liberté de finir une licence en philosophie (96) en parallèle des travaux sur la rupture ductile. André Pineau m’a gentiment secoué comme membre du jury de thèse, et m’a toujours pris ensuite sous son aile en me rappelant que la physique et la microstructure étaient premières. John Hutchinson, durant un séjour post-doctoral à Harvard (98-00), m’a enseigné la puissance du modèle théorique (et ce ne fut pas une mince affaire !) et que l’essentiel en science était de bien choisir les questions scientifiques. Puis, d’autres belles rencontres comme mes comparses post-doc Patrick Onck et Chad Landis, ensuite Yves Bréchet et les autres collègues/amis de Grenoble, Lyon, Paris, Lille, Toulouse, CEA, EPFL, DTU, Aarhus, TUE, Oxford, Porto, et bien sûr en Belgique à Leuven, Bruxelles, Liège, Namur, Gand, Anvers, m’ont chacun amené leur touche de folie scientifique et de passion. Mes collègues directs, depuis ma nomination en 2000 à l’UCLouvain, sont des sources d’apaisement quant au partage des soucis et des sources d’inspiration pour construire une recherche qui fait sens. Il s’agit en premier lieu de Pascal Jacques, Jean-Pierre Raskin, Christian Bailly, Bernard Nysten, Joris Proost, et, plus récemment, Aude Simar et Hosni Idrissi. Ensemble, nous construisons un modèle de recherche coopératif et de gestion le plus « opale » possible (pour parler le langage des entreprises libérées). Environ 50 nuances de doctorants et doctorantes ont jalonné un peu moins d’un quart de siècle de recherche, avec chaque fois une belle histoire d’apprivoisement mutuel. J’y ajoute des post doctorant.es. qui, pour une petite quinzaine, occupent aujourd’hui de beaux postes académiques, et permettent, oh bonheur, la poursuite de l’histoire scientifique entamée à Louvain-la-Neuve. Et chaque jour, ma famille, et en particulier Catherine, me rappelle que toute passionnante soit la science, l’essentiel est ailleurs.

Un peu de science quand même.

Comprendre. Du début de la thèse aux années après la nomination (disons de 94 à 08), mon attention a été quasi intégralement portée sur la compréhension des phénomènes de déformation et de rupture des matériaux via la modélisation théorique, numérique et la mise en place de méthodes d’essais mécaniques aux différentes échelles d’intérêt. Il s’agissait (et s’agit parfois toujours) de comprendre et prédire la croissance et la coalescence des cavités dans les métaux, la fissuration des joints collés ou soudés, la plasticité des aciers TRIP, les effets d’épaisseur dans la rupture des tôles minces et plus tard le comportement aux petites échelles des matériaux composites à base polymère, le titane, les verres métalliques, certains minéraux ou les couches minces. Ces recherches ont parfois mené à de nouvelles observations ou de nouveaux modèles, parfois je me suis empêtré dans des questions visant à déterminer le sexe des anges.

Inventer. Ayant trop peu d’intuition métallurgique, je suis incapable d’innover « physico-chimiquement » de nouveaux alliages (par chance, P. Jacques est à portée de couloir …) et encore moins des polymères. Par contre, via les travaux démarrés avec JP Raskin sur les MEMS, j’ai pu trouver un domaine de jeu, via la microfabrication en salles blanches, avec une boîte de légos créatifs possédant un nombre de couleurs et de briques raisonnable. Depuis 2007, nous développons des laboratoires nanomécaniques « on chip » les plus versatiles possibles aux applications variées, en particulier dans les couches minces et les revêtements. En parallèle, la vague des matériaux architecturés est arrivée un peu avant 2010. Les trous dans les cartes des matériaux de Mike Ashby sont des stimulants mentaux vigoureux. L’équipe a contribué à inventer des matériaux pour le blindage électromagnétique, des abradables hybrides, des joints collés architecturés et des matériaux composites éco-circulaires.

Innover. Mon collègue Benoît Gailly explique qu’« une innovation est une invention qui a trouvé un marché ». C’est là que j’en suis aujourd’hui. La responsabilité de mener des recherches utiles ne s’arrête pas à comprendre et inventer, mais nous devons sans doute être davantage lucides sur les sujets pour lesquels il est bon de persévérer et ceux que l’on peut, après un bon moment de science, gentiment mettre de côté. Bien sûr, les collaborations fortes avec Arcelor Mittal, Arkema, Aperam, Soitec, Sonaca, Sabca, Safran Aero Boosters, Thales Alenia Space, AGC, et aujourd’hui Dufour, Knauf ou Solvay, ont toujours été un gage d’une utilité forte aux recherches menées, vu l’origine industrielle des questions. Mais l’innovation sur base d’inventions venant du laboratoire reste un enjeu complexe. On œuvre par exemple actuellement sur un matériau à base de déchets avec un potentiel fort dans le domaine de la construction durable, ou encore au déploiement de nos « lab-on-chips ».

Servir. Si j’ai parfois des interrogations sur l’impact et l’utilité réelle de certaines recherches, je n’ai jamais douté un instant que chaque goutte de sueur mise dans les cours et dans de nouveaux dispositifs pédagogiques valent la peine. A travers des enseignements en science des matériaux, en mécanique, et, plus récemment, en développement durable, j’apprends tellement de la diversité des formes d’intelligence. Mon implication dans des services à l’université et à la société est sincère, par exemple de 2015 à 21 comme Président d’Institut, un titre grandiloquent qui signifie en fait : « écouter, rassurer, enthousiasmer », ou encore actuellement comme « Conseiller du Recteur aux Relations avec les Entreprises ». Hors UCLouvain, je préside depuis plus de 10 ans le Conseil Scientifique du Centre de Recherche Nucléaire Belge SCK CEN. Ma passion pour le monde du nucléaire continue de grandir avec l’évidence, elle dépassionnée, que c’est un des rares leviers déployables globalement pour s’en sortir au niveau environnemental. Dans ce cadre, je représente la Belgique à Euratom et participe aux travaux du Global Forum de la NEA. Enfin, c’est un honneur que d’œuvrer comme Vice-Président dans les conseils d’administration du Centre de Recherche Wallon Terre et Pierre et de l’Institut Von Karman.

Passion pour un métier. On dit souvent qu’un métier est beau s’il fait sens, donne le salaire mérité, amène du plaisir et reçoit sa petite dose de reconnaissance. Mon sentiment est que le salaire d’un professeur d’université est bien suffisant pour passer le point d’inflexion où un incrément d’argent n’apporte pas d’incrément de bonheur significatif. Le plaisir, je le trouve à tout instant au gré des rencontres, des cours et des beaux moments de science décrits plus haut. Côté « sens », je veille en particulier à ne pas (trop) confondre les moyens — publications, financements, méthodes  — et les finalités. La reconnaissance, elle vient là, en une grosse dose, avec cette belle médaille ; merci très chaleureusement à la SF2M pour cette récompense !

tous les lauréats depuis 1949

2023 Thomas PARDOENBelgique
2022Yves BIENVENUFrance
2021Jean-Hubert SCHMITTFrance
2020Christian REYFrance
2019Jacques JUPILLEFrance
2018Sybrand VAN DER ZWAAGPays-Bas
2017Clément SANCHEZFrance
2016Andreas MORTENSENSuisse
2015Francis DELANNAYBelgique
2014Denis GRATIASFrance
2013François MUDRYFrance
2012Yves BRECHETFrance
2011Michel RAPPAZSuisse
2010Christian COLLIEXFrance
2009David EMBURYCanada
2008Georges SAADAFrance
2007Jean-Claude LEHMANNFrance
2006Jacques LIVAGEFrance
2005Hervé BIAUSSERFrance
2003Germain SANZFrance
2002André ZAOUIFrance
2001Georges MARTINFrance
2000Dominique GIVORDFrance
1999André PINEAUFrance
1998Georges SLODZIANFrance
1997Bernhard ILSCHNERAllemagne
1996François GAUTIERFrance
1995Jean PLATEAUFrance
1994Pierre GUYOTFrance
1993Yves QUERE France
1992Dominique FRANCOISFrance
1991John J. JONASCanada
1990Gilles POMEY France
1989Michel WINTENBERGERFrance
1988Jacques FRIEDELFrance
1987Peter HAASENAllemagne
1986Yves ADDA et
Jean PHILIBERT
France
1985Raymond CASTAINGFrance
1984Jean-Alex MICHARDFrance
1983Donald McLEANRoyaume-Uni
1982Etienne BONNIERFrance
1981Charles CRUSSARDFrance
1980Alexander R. TROIANOUSA
1979André GUINIERFrance
1978Paul LACOMBEFrance
1977F; Deny RICHARDSONFrance
1976G. R. IRWIN USA
1975Paul BASTIENFrance
1974Rolland MITSCHEAutriche
1973René CASTROFrance
1972Uishi HASHIMOTOJapon
1971Henri MALCORFrance
1970Sir Nevil NOTTRoyaume-Uni
1969Henri de LEIRISFrance
1968Georges HOMESBelgique
1967Georges DELBARTFrance
1966Georgy KURDJUMOVURSS
1965Jacques POMEYFrance
1964Werner KOSTERAllemagne
1963Norman Percy ALLENRoyaume-Uni
1962Pierre JACQUETFrance
1961Henri THYSSENBelgique
1960Marc ALLARDFrance
1959Hermann SCHENCKAllemagne
1958Antonio SCORTECCIItalie
1957Georges CHAUDRONFrance
1956R. F. MEHLUSA
1955Pierre CHEVENARDFrance
1954A. F. WESTGRENSuède
1953Albert PORTEVINFrance
1952E. C. BAINUSA
1951E. N. da C. ANDRADE Royaume-Uni
1950René PERRINFrance
1949Carl BENEDICKSSuède